l y a tout juste trois ans, la Chine entrait dans l'année du Tigre. Les médias locaux avaient alors évoqué le risque que fait peser sur l'espèce en voie de disparition son utilisation dans la médecine traditionnelle ou encore en décoration intérieure. Les peaux fournissent des tapis très recherchés et ses os servent à la préparation de remèdes et de spiritueux. La prise de conscience avait été éphémère.
L'Environmental Investigation Agency (EIA) va aujourd'hui bien plus loin en accusant des agences gouvernementales chinoises, de laxisme, voire de complicité, à travers la distribution de licences à des entreprises ouvertement engagées dans le commerce du tigre.
Dans un rapport publié mardi 26 février, l'Organisation non gouvernementale, basée à Londres, constate que si la Chine a interdit l'emploi d'os de tigre en médecine traditionnelle depuis 1993, elle encourage en revanche l'élevage de tigres en captivité, permettant le développement du commerce des peaux, alors que les Etats signataires de la Convention internationale sur le commerce des espèces menacées (CITES) se sont engagés à travailler à la réduction de la demande sur leur propre marché.
Par ailleurs, l'EIA déplore le manque de clarté sur l'emploi d'os de tigres d'élevage dans la production d'alcools destinés aux riches consommateurs.
Sous les auspices du gouvernement, la Chine a développé ces dernières années sa population de tigres captifs. Celle-ci est passée de moins de 20 spécimens en 1986 à entre 5 000 et 6 000 en 2013, répartis dans environ 200 "fermes" et "zoos", selon l'EIA.
Au même moment, la population de tigres sauvages sur le territoire chinois déclinait de 4 000 à la fin des années 1940 à entre 40 et 50 aujourd'hui. Il reste environ 3 500 tigres à l'état sauvage dans le monde.
L'élevage domestique en Chine se fait au nom de la conservation de l'espèce. Toutefois, ce système n'exclut pas "l'utilisation" ou la vente de certains produits dérivés de l'animal.
Décor de luxe
Au cours de son enquête, l'EIA a constaté l'existence de ventes de tapis en peaux de tigres réalisés à partir d'animaux ayant vécu en captivité et "avec l'autorisation formelle de la SFA", l'administration des forêts chargée également de la protection de la faune. L'entreprise Xiafeng, dans la province d'Anhui, a ainsi pu vendre cinq peaux au cours de la première moitié de l'année 2012 grâce à une autorisation délivrée par la SFA.
Cette administration est au centre des accusations de l'ONG britannique. "Tandis que le reste du monde essaie de réduire la demande de produits issus du tigre, la SFA a fait la promotion du commerce de peaux comme objet de décor de luxe, dénonce Deborah Banks, directrice de campagne de l'EIA. Cela entretient la demande et ceux qui ne peuvent pas s'offrir de peaux légales dotées d'un "permis" se tournent vers les réseaux de vente illégale, qui pratiquent en outre des prix plus bas. Le commerce légal encourage le braconnage et le recel."
C'est la raison pour laquelle les pays signataires de la CITES se sont positionnés, en 2007, contre les "fermes" de tigres, juge l'ONG.
Interrogé sur le sujet, le porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères rappelle que "la Chine attache une grande importance à la protection des espèces menacées" et qu'elle a adopté une série de lois et un mécanisme de collaboration entre les services de police et ceux du ministère du commerce pour punir les trafics.
La reproduction des espèces menacées en captivité est, selon le ministère, une réponse aux dangers que fait peser sur leur survie la demande de la médecine traditionnelle. Il rappelle que la Chine réprime le braconnage illégal.
H.T.
Source : http://www.lemonde.fr