Planet Exotica : l’ombre d’un doute
Depuis le 7 juin, les visiteurs des ex-Jardins du monde découvrent des serpents pour certains très venimeux, dans des conditions qui posent question. Marc Jaeger, le gérant assure que tout a été fait dans les règles. Certains faits le contredisent.
Marc Jaeger est un homme avenant, prompt ces temps-ci à distribuer les entrées gratuites. Gérant des très décriés ex-Jardins du monde à Royan, devenus Planet Exotica, ce ressortissant suisse aurait mauvaise grâce, il est vrai, à contredire le visiteur déçu qui s'émeut de ne rien avoir appris sur les serpents, crocodiles et autres reptiles qu'il a parfois tenté de discerner derrière des vitres crasseuses. Alors, avec son fort accent suisse et un sourire permanent accroché aux lèvres, il explique les raisons des imperfections de ce parc (lire par ailleurs) qu'on finit par croire maudit.
Parc floral, les Jardins du monde ont coûté cher pour ne jamais vraiment voir leur fréquentation décoller. À la suite de deux de ses cousines, repreneuses du parc en délégation de service public en 2011, Marc Jaeger s'essaie à son tour à l'exploitation du lieu, depuis l'an dernier, avec un nouveau concept, les reptiles. Las.
Imparfait, le parc Planet Exotica l'est, c'est certain, à bien des égards. Sur le plan commercial, pour commencer. Ce qui ne serait somme toute qu'un moindre mal. Sous la surface visible s'esquisse en creux l'ombre d'un doute. Sur la bonne conformité du lieu au regard des normes de sécurité, déjà. Une commission devait s'en assurer mercredi 25 juin. Magali Selles, la sous-préfète de Rochefort, souhaitant « y assister personnellement », en a fait décaler la tenue au 10 juillet. Le personnel du parc - très réduit en nombre - et des artisans s'affairent donc sur le site pour procéder à des aménagements.
Un capacitaire en moins
Le doute plane également sur la légitimité, administrative, s'entend, de Marc Jaeger à présenter certains reptiles. Le gérant ne s'en cache pas auprès des visiteurs : « Une partie de l'équipe nous a lâchés. » Un salarié, surtout, a quitté la barque. Et non des moindres. Celui-ci disposait d'un certificat de capacité certes limité à l'élevage de reptiles - et non à la présentation au public -, mais couvrant la présence sur le site de certaines espèces que Marc Jaeger, lui, n'est administrativement pas autorisé à élever, ni, a fortiori, à présenter au public, limitant de facto la richesse de la collection de serpents présentée au public. Le certificat de capacité de ce salarié était encore affiché dans le hall d'accueil du parc vendredi dernier.
À titre d'exemple, il est même une espèce qui ne devrait pas être présentée, alors que c'est le cas depuis l'ouverture au public de l'espace des reptiles, le 7 juin dernier : l'Ostealaemus tetraspis, un crocodile nain, dont deux spécimens sont abrités dans la serre tropicale de Planet Exotica. Sur la liste des espèces (serpents et crocodiliens) que Marc Jaeger a le droit de présenter au public, point d'Ostealaemus tetraspis. Cette liste est jointe au certificat de capacité (pour « l'entretien et la présentation au public » seulement) qui a été délivré le 4 février par la préfecture de police de Paris. À titre probatoire, pour deux ans, précise le document. En soi, déjà, le signe que la commission nationale chargée d'étudier la demande de Marc Jaeger a eu elle-même quelques doutes, laisse entendre un proche de cette commission.
Le gérant du parc, lui, assure avoir un « capacitaire » pour le crocodile nain, « qui passe très régulièrement ». À quelle fréquence ? Marc Jaeger ne veut pas rentrer dans ce détail. L'arrêté ministériel du 25 mars 2004 régissant les parcs animaliers, pourtant, stipule que le capacitaire « exerce une surveillance permanente de l'établissement ».
« Ce pauvre M. Jaeger »
Il y a quelques jours encore, la sous-préfète de Rochefort, elle, n'avait aucun doute sur la conformité de Planet Exotica. Bien qu'aucun représentant d'aucun organisme d'État n'a encore inspecté les lieux. Ce qui, au demeurant, ne contrevient pas à la procédure habituelle. Marc Jaeger dispose de deux autorisations d'ouvrir et d'exploiter (AOE) en bonne et due forme, l'une pour l'aspect « élevage », délivrée le 16 mai, la seconde lui accordant le droit de présenter au public certains reptiles, dûment identifiés dans une liste jointe en annexe. Oser émettre des doutes sur la totale conformité du parc et de son gérant avec la législation française ne serait donc qu'un mauvais procès fait « à ce pauvre M. Jaeger », estime la sous-préfète de Rochefort.
Pour Magali Selles, Marc Jaeger a offert dans son dossier de demande d'AOE toutes les garanties nécessaires. Y compris en matière de procédure de prise en charge d'une personne mordue par un serpent venimeux. « M. Jaeger est en mesure d'affréter un jet privé pour emmener en urgence la personne en Suisse pour qu'on lui injecte le sérum. »
Des espèces non couvertes
« Si cette solution de l'avion convient à une sous-préfète, je ne peux rien… » Mais Rémi Ksas trouve à redire quand même. Ce spécialiste travaille pour Latoxan, laboratoire des toxines animales et animaux venimeux. Il est aussi le secrétaire de la Banque des sérums antivenimeux (BSA), une association, seul organisme en France à disposer de sérums antivenimeux. Et le cas de Planet Exotica l'interpelle. « Non, sérieusement, cette histoire d'avion, c'est complètement improbable. On ne peut pas mettre un patient non stabilisé ainsi dans un avion. C'est un truc de dingue ! C'est joli sur le papier, mais dans la pratique, ça ne marche pas. Je pense d'ailleurs qu'aucun médecin n'accepterait de monter à bord. Moi-même, si je suis mordu, je refuse qu'on me mette dans un avion. Je préfère qu'on m'envoie au centre hospitalier le plus proche, où un urgentiste, même s'il ne connaît pas les cas d'envenimation, se fera guider par le centre antipoison. »
Le fait que Planet Exotica abrite des espèces extrêmement venimeuses dont la BSA ne couvrirait pas les envenimations l'interpelle, également. Si Marc Jaeger assure que le Bungarus fasciatus que les visiteurs pouvaient encore admirer le 16 juin, soit neuf jours après l'ouverture au public, est désormais conservé dans le centre d'élevage du parc (1), l'animal est toujours là. « Et ce serpent particulièrement dangereux n'est effectivement pas couvert pas la BSA. Il y a une raison à ce que certaines espèces soient autorisées ou non. Il y a peu de temps encore, on allait jusqu'à interdire l'exposition au public de la couleuvre de Montpellier, certes venimeuse, mais pas mortelle, au prétexte qu'il n'existait pas de sérum », illustre Rémi Ksas, qui s'inquiète des conditions dans lesquelles Marc Jaeger exerce. Les autorités, elles, attendront le 10 juillet avant de vérifier.
(1) Aménagé dans le hall d'accueil, visible du public, mais non accessible.
« La sécurité est garantie à 100 % »
Après quelques questions précises et autant de réponses parfois en contradiction avec la réalité observée au cours de trois visites menées dans le parc ces deux dernières semaines, Marc Jaeger se retranche derrière cette unique réponse : « Toutes les mesures de sécurité ont été prises, dès l’ouverture au public. »
Néanmoins, le gérant suisse se contredit, sur certains aspects. Quand il lui est demandé pourquoi, par exemple, il n’a procédé à l’installation de grilles devant les fenêtres de la serre désertique qu’après l’ouverture à la visite, le 7 juin. Des fenêtres régulièrement ouvertes, pour aérer cette serre vite surchauffée. Des fenêtres ouvertes… au-dessus de terrariums, certes clos et sécurisés, mais abritant des espèces venimeuses pour beaucoup.
La pose de ces grilles, Marc Jaeger l’assure : « Ça, c’était fait avant l’ouverture au public. » Le lundi 16 juin, pourtant, ces grilles n’étaient pas installées. Le jeudi 19 juin, dans l’après-midi, un employé du parc, juché sur une échelle télescopique à 4 mètres de hauteur, s’affairait encore à installer la dernière de ces grilles, sur un vasistas, sous le regard intrigué des rares visiteurs.
Avec la même assurance, Marc Jaeger certifie aussi que « tous les animaux présentés au public sont couverts par la BSA ». Entendez : la Banque des sérums antivenimeux, une association seule en France à disposer des sérums permettant de soigner la victime d’une morsure d’un serpent venimeux. Du moins de certains serpents. Les espèces asiatiques, par exemple, ne sont pas couvertes.
Sans pouvoir l’interdire, la BSA, toutefois, « déconseille » la détention et, a fortiori, la présentation au public de certaines espèces. C’est le cas du Bungarus fasciatus, un serpent décrit comme extrêmement venimeux, pour le venin duquel la BSA ne dispose pas du sérum. « Non », un tel serpent n’a jamais été présenté dans l’espace ouvert à la visite, réfutait hier Marc Jaeger. Cet animal était pourtant exposé lundi 16 juin dans la serre tropicale de Planet Exotica. « Euh, en tout cas, maintenant, je peux l’assurer, il est gardé dans la partie élevage, interdite au public », a dû nuancer le gérant du parc.
Source :
Sud-Ouest.