Les pays pratiquant la chasse à la baleine ont gagné une nouvelle manche. Lundi 2 juillet, la commission baleinière internationale (CBI), réunie pour son assemblée annuelle jusqu'à vendredi à Panama, a rejeté la création d'un sanctuaire dans l'Atlantique Sud pour protéger les cétacés, notamment la baleine bleue, la baleine à bosse, la baleine franche australe et le rorqual commun. Au total, 38 de ses membres ont voté en faveur de la proposition et 21 s'y sont opposés. Or, pour être approuvé, le texte aurait dû recueillir au moins 75 % de voix favorables.
"Le but de cette motion était de renforcer davantage la protection des baleines : en cas de levée du moratoire, il existerait ainsi toujours des portions d'océans fermées à la chasse commerciale, explique Jean-Benoît Charrassin, maître de conférence au Muséum national d'histoire naturelle et membre du comité scientifique de la CBI. Mais cette proposition de sanctuaire était surtout politique, dans la lutte qui oppose les pays chasseurs aux Etats protecteurs."
Si un moratoire international interdit la chasse commerciale des baleines depuis 1986, et deux sanctuaires les protègent dans l'océan Indien (depuis 1979) et dans l'océan Austral (1994), certains Etats continuent néanmoins de capturer ces mammifères :
Le Japon, le premier d'entre eux, dispose ainsi d'une dérogation pour "prélever" des spécimens (entre 400 et 1 000 selon les années) au nom d'une pêche scientifique qui masque en réalité des activités commerciales.
La Norvège et l'Islande, qui ont posé une objection au moratoire, poursuivent, eux, une chasse commerciale (700 baleines pêchées, selon les derniers chiffres de 2010-2011 de la CBI).
Enfin, une poignée de pays, le Danemark au Groenland, les Etats-Unis en Alaska, la Russie et Saint Vincent et Grenadines (dans les Caraïbes), jouissent de dérogations pour mener une pêche de subsistance (soit 400 captures en 2010-2011). Mardi, la CBI a prolongé pour six ans les droits de chasse accordés aux peuples indigènes de ces trois derniers pays, par 48 voix contre 10.
Alors que l'espèce a été au bord de l'extinction avec plus de deux millions de baleines abattues au XXe siècle, cette poursuite de la chasse irrite au plus haut point les pays protecteurs de l'espèce, essentiellement l'Union européenne (à l'exception du Danemark) et les Etats d'Amérique latine, menés par le Brésil et l'Argentine. Au cours des quinze dernières années, environ 15 000 baleines ont ainsi été pêchées sans que la Commission baleinière internationale ne bronche.
La raison, c'est le lobbying très actif des Etats pêcheurs, au premier rang desquels le Japon. "Tokyo réussit à convaincre des Etats qui n'ont aucun intérêt dans la pêche à la baleine de voter dans son sens. Elle achète leur vote avec le financement de leur adhésion à la CBI, le paiement de leurs billets d'avion pour se rendre à la réunion annuelle, le développement d'infrastructures portuaires ou une coopération technique", livre François Chartier, chargé de mission Océans pour Greenpeace. Résultat : les Etats des Caraïbes ou du Pacifique, qui ne pêchent pas de cétacés, ont voté massivement contre le sanctuaire et se prononcent régulièrement pour le maintien de la pêche scientifique.
Mais l'ironie, c'est que cette pêche hautement subventionnée par le Japon n'est plus vraiment fondée. "Le Japon a été autorisé à mener une pêche scientifique, lorsque la CBI a adopté en 1946 une Convention internationale pour la régulation de la chasse à la baleine, afin de fournir des informations sur l'état des stocks et la conservation de l'espèce, explique Jean-Benoît Charrassin. Aujourd'hui, nous n'avons plus besoin de ces informations pour gérer le nombre de spécimens, mais il s'avère impossible de modifier ces statuts faute de majorité qualifiée au sein de la CBI."
Surtout, cette année, comme l'an dernier, la majorité des stocks de viande de baleine n'ont pas trouvé preneur au Japon, faute de consommation nationale suffisante. "Tokyo poursuit néanmoins une importante chasse pour des raisons de souveraineté ainsi que pour maintenir son influence en termes de diplomatie maritime et d'accès aux ressources de la mer, explique François Chartier. Le poids du monde de la pêche et des armateurs, proches du pouvoir, joue aussi."
La pêche à la baleine pourrait-elle décroître à l'avenir ? Le rapport de force au sein de la CBI, aujourd'hui au statut quo, pourrait évoluer en faveur des pays protecteurs en cas de fort développement de l'activité touristique liée aux cétacés. Le whale-watching (observation des baleines) intéresse en effet de plus en plus de pays côtiers pour attirer les touristes, notamment en Amérique du Sud.
Selon une étude présentée lors de la réunion de la CBI de 2010, cette activité pourrait potentiellement rapporter 3 milliards de dollars américains par an et créer 24 000 emplois dans le monde, soit des gains en mesure de contrebalancer les 2,1 milliards de dollars de recettes générées chaque année par le commerce de la viande de baleine.
Audrey Garric