30 novembre 2006
Sauver les arbres ou les chouettes, il faut choisir…
Les techniques d’abattage sélectif qu’on croyait le meilleur moyen de proteger la foret signifient, parfois, la fin de certaines essences qu’on voulait proteger.
Il est peu habituel qu’un écologiste préconise l’abattage systématique et brutal de forêts entières, c’est pourtant ce que réclament certains. Hamish Kimmins est l’un d’eux. Professeur a l’université de Colombie-Britannique, il pense qu’il faut choisir le mode d’exploitation selon le type de foret. D’après lui, certaines forets peuvent prospérer grâce a un abattage sélectif, d’autres ont besoin d’un abattage systématique, aussi destructeur que cela puisse paraître.
Andy MacKinnon et Allen Banner partagent cet avis. Ils ont été charges par le gouvernement de Colombie-Britannique de dresser la carte des différents types de foret de cette province canadienne. Nous volons au milieu d’arabesques de brume flottant dans la lumière éclatante de l’aube, près de Bella Bella, au milieu de la cote de Colombie-Britannique, dans la Great Bear Rainforest [littéralement, « foret pluviale du Grand Ours ». C’est l’une des plus grandes forets primaires qui restent sur la planète. Les écologistes canadiens ont mène un long combat pour la protéger. Il a abouti, début 2006, a la protection totale de 18 000 km2 et a la gestion durable de 46 900 autres]. Nous survolons une ribambelle de petites îles ciselées par des criques et des fjords spectaculaires. De légères différences de couleurs indiquent la présence de plusieurs espèces d’arbres et permettent de distinguer les zones ou des coupes ont été effectuées de celles restées vierges.
Nous apercevons quelques sommets rases par un abattage systématique et arrivons bientôt au-dessus de secteurs ou un abattage sélectif est pratique a l’aide d’un outillage ultramoderne. Tony fait tourner l’appareil au-dessus des montagnes et nous pouvons observer tout en bas un gigantesque hélicoptère orange en train d’extraire des grumes et de les transporter une a une dans la crique la plus proche. Le débardage par hélicoptère constitue en théorie la technique la moins néfaste pour la foret, car il ne nécessite ni routes ni pistes. Mais ce procède est très coûteux, et les entreprises n’extraient que l’espèce qu’elles vendront au meilleur prix, le cèdre. C’est la faille inattendue du système. En effet, les jeunes cèdres ont besoin de beaucoup de lumière pour survivre, et ne peuvent donc pas pousser dans des forets déjà constituées.
Apres avoir pose l’appareil sur un terrain ou un abattage systématique a été effectue il y a plusieurs années, Andy nous explique que, « dans ce cas, la régénération ne pose aucun problème. La plupart des arbres de ce site ne sont pas plantes, ils se régénèrent naturellement. Si vous pratiquez une trouée assez grande, comme ici – vous voyez tous les cèdres qui repoussent –, le cèdre rouge occidental [thuya géant] se régénère naturellement et les espèces sont a peu près les mêmes que celles qui étaient la avant l’abattage. Cette méthode est certes néfaste pour la faune et elle est peu esthétique. Mais, si les trouées sont trop petites, les jeunes cèdres ne recevront pas assez de lumière, et la foret qui repoussera n’en contiendra plus ».
Mais, par ailleurs, les coupes a blanc sont catastrophiques pour la faune. A grande échelle, elles pourraient, par exemple, sonner le glas de la chouette tachetée du Nord (Strix occidentalis caurina). Le Canada comptait jadis plusieurs centaines de couples reproducteurs. Au cours des années 1980, leur nombre a été divise par deux, et on estime qu’il ne reste plus a l’heure actuelle que 17 individus.
Or, dans la région, il y a eu manifestement abattage, qui plus est systématique – sans doute la pire des choses pour la chouette tachetée. La foret a été rasée, il n’en subsiste que quelques lambeaux éparpilles ça et la. La Liste rouge des espèces menacées, reconnue dans le monde entier, est très claire quant a ce qui menace sa survie : la destruction de son habitat et l’abattage des arbres. Dans certains cas, ou dans certaines zones, faudrait-il choisir entre le cèdre rouge et la chouette tachetée ? La conservation est décidément une chose complexe.
Courrier International, 30/11/06
Richard Black, BBC News Online
