Je savais combien il était extrêmement difficile d’apercevoir les rhinopithèques et surtout combien les forêts dans lesquelles ils vivent étaient inaccessibles. J’avais, par le passé, entendu parler d’un scientifique qui avait redécouvert une population de cette rare espèce de primate et qui proposait d’aller les observer. C’est donc via instagram que j’ai réussi à retrouver ce monsieur nommé Le Khac Quyet. Il est la seule personne ayant l’autorisation de pénétrer dans les forêts où vivent les rhinopithèques. Nous avons établi un premier contact et ensemble nous avons décidé du chemin à parcourir durant deux semaines pour observer les quatre espèces convoitées.
C’est donc le 17 novembre au matin que j’embarque, accompagné d’un ami, pour Hanoï, la grouillante capitale du Vietnam. Après quelques désagréments avec Aéroflot (Compagnie russe que je déconseille à tout le monde de prendre…) nous n’arriverons que deux jours plus tard en Asie. A notre arrivée Quyet nous attend avec un joli petit panneau sur lequel sont inscrits nos noms. Nous sommes épuisés par tous les problèmes rencontrés précédemment. Pourtant nous ne traînons pas, 6h de route nous attendent pour rejoindre Ha Giang au nord du pays. Notre premier objectif sera d’aller observer les Rhinopithèques du Tonkin (Rhinopithecus avaunculus). Pour cela il nous faut l’autorisation de pénétrer sur leur territoire : Khau Ca. Le soir même nous sommes donc invités au restaurant afin de rencontrer les dirigeants de la forêt. Autour d’une table ronde nous discutons des raisons pour lesquelles nous sommes là et quels sont nos objectifs afin de mieux appréhender notre présence. Sur la table sont disposés différents types de plats dans lesquels on pioche ce qui nous fait envie pour constituer notre assiette. La nourriture est abondante, c’est un repas officiel. Les vietnamiens ont, pour coutume lors des repas, un jeu fort sympathique : Chacun à un petit shooter devant soi dans lequel on verse de l’alcool de riz bien coriace. Le but est de se raconter des blagues, des anecdotes, des histoires anciennes avec les personnes présentes à la table. Ceux étant concernés par l’histoire racontée boivent leur verre cul sec. Et ce jeu dure tout le temps du repas… Bien évidemment nous avons été invités à y participer. Je ne bois jamais d’alcool, simplement parce que je n’aime pas ça. Mais l’instant était décisif pour nous et je devais faire honneur à ce subtil alcool de riz ! Je crois me souvenir encore de la brûlure ressentie dans la gorge après le cul sec ! Le repas terminé nous sommes autorisés à pouvoir aller à la rencontre des primates. Nous passerons une nuit bien méritée à l’hôtel.
Khau Ca Forest
Le lendemain nous nous levons tôt et partons faire quelques provisions pour les 7 jours que nous avons prévu dans la forêt de Khau Ca. Quyet nous avait expliqué que c’était précisément le temps nécessaire pour être certain de voir les primates. Nous prenons désormais la route vers la terre promise. Avant d’y arriver nous passerons une nouvelle fois devant les autorités locales, mais cette fois-ci au poste de police. L’agent vérifie nos papiers d’identité ainsi que nos passeports et nous pose une série de questions sur nos intentions. Bien que tout cela puisse paraître un peu extrême, je suis soulagé de constater que cet endroit unique soit sous haute surveillance. Une nouvelle fois nous faisons bonne figure et l’on nous imprime nos autorisations. Ceci étant réglé nous partons chez l’un des rangers de Quyet. Le nord du pays, assez pauvre, est la parfaite illustration de ce que l’on s’imagine du Vietnam : Des paysans travaillant sur les plateaux de rizière, coiffés d’un couvre-chef pointu, vivant dans des maisons sur pilotis au toit de feuilles séchées et possédant quelques buffles. Paradoxe : Tout le monde possède un Iphone et il n’est absolument pas complexe de capter la 4G. Le ranger et sa famille font partie de cette classe-là. Nous sommes donc invités à boire le thé en guise de bienvenue. Ces gens ne possèdent rien, ou du moins rien qui pourrait être futile pour eux. Nous nous préparons pour l’ascension qui nous attend et partons. En effet le camp de Khau Ca se situe à 3h de marche, ou plutôt d’escalade. On s’arrête quelques instants pour acheter de l’essence dont aura besoin le générateur au camp.

Il nous faudra, en premier lieu, traverser pieds nus une rivière avant de commencer à grimper. La brume avale les arbres centenaires. La forêt est paisible. La végétation se compose principalement de pins entourés de lianes et de fougères. Revenus des milliers d’années en arrière, l’ambiance est préhistorique. Quelques oiseaux chantent sans qu’aucun daigne se montrer et soudain je me rappelle la Thaïlande : faune fantôme. C’est donc cela l’Asie, entendre les échos, les vocalises des animaux sans jamais les apercevoir.



3h de marche plus tard nous arrivons enfin sur un plateau coincé entre plusieurs sommets. Une grande maison sur pilotis en bois massif et Quyet s’exclame « Bienvenue au camp de Khau Ca ! ». Autour de nous un chien, une multitude de poules et des chèvres vagabondent. Une famille de paysans vit en contrebas.

A l’intérieur de la maison nous attendent les 5 rangers de Quyet ainsi que deux botanistes venus étudier la complexe faune de cette forêt perchée sur la montagne. Parmi ces deux personnes il y a une femme. Elles ne sont que femmes à être diplômées « Docteur botaniste » au Vietnam et elle en fait partie. Elle est également la seule femme à être venu étudier les plantes à Khau Ca. C’est un honneur de la rencontrer. Comme de coutume nous nous mettons en cercle, assis au sol, pour diner avec, encore une fois, une multitude de plats au centre et l’alcool de riz s’invite de nouveau au jeu. On se sent bien auprès de ces gens, leurs sourires m’offrent du baume au cœur. Tout est si naturel, je me sens chez moi. A 22h précise, et ce sera le cas chaque soir, nous éteignons le générateur, extinction des feux. Ici le confort n’est pas une priorité et nous dormirons donc à même le sol, enroulés dans nos duvets. L’excitation l’emporte sur le sommeil : demain nous partons à la recherche des primates.