Samedi 1er avril 2006, je retrouve Olaf Paterok à l'aéroport de Cologne/Bonn. Ami allemand passionné par les parcs zoologiques et enseignant au sud d'Hanovre, il m'avait proposé de l'accompagner en Andalousie pour y découvrir quelques espaces zoologiques peu connus. Une de mes connaissances espagnoles, Miguel Jimenez de Cisneros, qui a d'ailleurs publié en 1986 un guide des espaces zoologiques en Espagne, nous a fourni une riche liste des parcs d'Andalousie et conseillé plus particulièrement certains d'entre eux. Parmi la quarantaine d'espaces référencés dans la région, nous tenterons de visiter les plus importants, en leur accordant le temps nécessaire.
Nous décollons d'Allemagne vers 18h30 dans un appareil de Germanwings, compagnie offrant des prix de voyage intéressants, et arrivons deux heures plus tard à Jerez de la Frontera dans un petit aéroport récent, situé à une dizaine de kilomètres au nord de la ville. Cent cinquante kilomètres nous séparent encore de notre première visite et nous décidons de les parcourir encore ce soir. Nous arrivons donc en plein milieu de la nuit à El Castillo de las Guardas (= le château des gardes), situé à une soixantaine de kilomètres au nord de Séville. Après un petit repérage des lieux, nous dormons dans la voiture sur le parking du safari.
Le lendemain matin, vers 8h et en attendant l'ouverture de La Reserva, nous nous baladons dans une superbe forêt d'eucalyptus qui borde le parc. Nous avons rendez-vous à 9h avec Jose Luis Aragon, chef animalier de La Reserva. Cet établissement privé, inauguré le 29 mai 2000, est installé dans les ruines d'une ancienne zone minière dont les origines remontent à l'époque romaine et exploitée par intermittence jusqu'en 1963. Il reste d'ailleurs des vestiges de ces exploitations, tels que des bâtiments près de l'entrée, où avait été installé à l'origine un vivarium, mais qui n'existe plus aujourd'hui, de multiples murs en pierre que nous croiserons au cours de notre visite, mais surtout l'immense aqueduc qui domine l'ancien enclos des éléphants et fut construit en 1900 pour approvisionner la mine en eau. La Reserva est aujourd'hui aménagée sur une superficie de 230 hectares, en partie forestière et vallonnée ; la visite se fait sur un circuit automobile d'une dizaine de kilomètres.
Après quelques minutes d'attente, Jose Luis Aragon nous rejoint à l'entrée. Nous faisons rapidement connaissance, puis il nous informe que les éléphants sont encore dans leurs loges de nuit et que nous pouvons l'accompagner pour assister à leur sortie. Nous montons donc dans son gros 4x4 peint aux couleurs du safari et traversons rapidement une partie du parc, ce qui nous donne déjà un premier aperçu.
Dans le bâtiment des éléphants, nous rencontrons Con Mul, ancien soigneur des éléphants au Zoo de Rotterdam (Pays-Bas) qui travaille depuis peu au Ouwehands Dierenpark de Rhenen (Pays-Bas). Pour l'année 2006, ce dernier parc a prévu d'accueillir à nouveau des éléphants, après dix ans d'arrêt dans la présentation de ces animaux. Les travaux étaient alors en cours de finition et les discussions avec un cirque italien pour accueillir des éléphantes asiatiques ne s'étant pas concrétisées, le directeur s'était tourné vers l'Espagne et La Reserva. Con Mul est ici pour prendre connaissance avec les deux éléphantes africaines, Aja et Duna, et les ramener aux Pays-Bas d'ici quelques jours.
Ces deux animaux sont les derniers éléphants africains encore présents à La Reserva alors que près d'une dizaine d'individus ont été accueillis depuis 2001. A cette époque, alors que La Reserva avait à peine un an d'existence, quatre éléphants africains, tous âgés d'une vingtaine d'années, avaient été transférés à El Castillo et présentés dans le vaste enclos sous le fameux aqueduc. Il s'agissait alors de Seferino, originaire du Safari de Valladolid, de Rasputin, originaire du Safari d'Aitana, et de deux femelles, Paca et Antonia, provenant du Safari de Madrid. Peu de temps plus tard, deux jeunes éléphants nés au Parque de la Naturaleza de Cabarceno, seul espace espagnol où se reproduisent des éléphants, rejoignirent ce groupe en formation : Duna née en décembre 1996 et Nacho né en mars 1999. Coco, le fameux éléphant de forêt vivant au Parc Zoologique de Paris (Paris) depuis 1963, fut également transféré vers Séville en avril 2002. Il ne survécut malheureusement pas longtemps sur le sol espagnol. Antonia et Nacho avaient déjà succombé avant son arrivée.
En mars 2003, c'est le Zoo de Magdebourg (Allemagne) qui envoya une éléphante, nommée Arusha. Celle-ci décéda au printemps 2004, tout comme Paca. C'est après ces cinq décès que l'on se rendit compte que les minéraux, reliques de l'exploitation minière, contenus dans le sol de l'installation des éléphants pouvaient porter préjudice à ces animaux. Les trois éléphants africains restants, Seferino, Rasputin et Duna, furent alors transférés dans une autre partie du parc où vivaient depuis plus d'un an quatre jeunes éléphants asiatiques mâles, en pleine forme. La Reserva s'était en effet proposé en 2002 pour accueillir un groupe d'éléphants asiatiques mâles, animaux difficiles à placer et surnuméraires dans la population captive. En novembre 2002, le Zoo d'Emmen (Pays-Bas) se libéra donc de deux jeunes pensionnaires, Timber et Maxim, respectivement nés en février et mars 1998. En avril 2003, ils furent rejoints par deux autres animaux, propriétés du Zoo de Rotterdam (Pays-Bas) mais vivants à Port Lympne (Royaume-Uni) depuis novembre 1999, Tsje Pyan et Maung Htoo, respectivement nés en décembre 1997 et février 1998.
Au printemps 2004, enfin, les éléphants africains se retrouvèrent dans la même installation que ces éléphants asiatiques. Le vaste enclos extérieur, aménagé sur deux pentes d'un vallon, fut séparé en deux et un second bâtiment, réservé aux africains, fut bâti. En 2005, au vu de la croissance des jeunes asiatiques, un autre bâtiment leur fut consacré dans une troisième partie du parc et ceux-ci découvrirent un nouvel enclos qu'ils partagent aujourd'hui avec un groupe de daims. Du côté des africains, une autre femelle fut encore accueillie en octobre 2005, Aja, âgée approximativement de 35 ans et vivant au Zoo d'Erfurt (Allemagne) depuis 1974. Ce matin du 2 avril 2006, nous nous attendions donc à découvrir quatre éléphants dans le bâtiment où nous mène Jose Luis Aragon… mais celui-ci nous apprend rapidement qu'un des mâles est décédé il y a quelques semaines tandis que le second a été transféré à Cabarceno pour remplacer le mâle reproducteur mort il y a peu.
Après avoir assisté à la sortie d'Aja et Duna, qui sont d'ailleurs actuellement habituées à passer à travers leurs caisses de transports installées dans le couloir les menant à leur enclos, nous filons vers l'installation des asiatiques. Leur bâtiment, construit il y a à peine un an, est tout aussi sommaire que celui des africains et nous sommes surpris par la conception, d'autant que les jeunes mâles seront un jour adultes et qu'il n'est pas simple d'en gérer quatre dans un même espace. La sortie est quelque peu mouvementée, les animaux s'arrêtant pour profiter des granulés déposés à l'intention des daims dans le sas vers l'enclos. A 10h30, Jose Luis Aragon nous invite à un casse-croûte bien espagnol, première approche de la culture locale. Nous retrouvons Con Mul, qui nous propose de nous accompagner pour notre tour du parc, Jose Luis Aragon devant poursuivre sa tournée avant l'affluence des visiteurs, prévue pour cet après-midi.
La visite peut s'effectuer, soit en voiture personnelle, soit à bord de wagons sur roues tirés par un gros tracteur. Les enclos, de superficie souvent importante, possède également une végétation intéressante et des dénivelés. Un grand nombre d'émeus nous accueille dans le premier enclos tandis que les nilgauts, normalement également présents, restent invisibles. Nous effectuons un premier arrêt devant l'installation des ours bruns où vivent une dizaine de plantigrades, dont deux nés il y a quelques semaines à peine. L'enclos est aménagé sur une vaste pente plantée d'eucalyptus et de broussailles ; un ruisseau coule au bas du vallon et forme un plan d'eau ; nous y observons quelques poissons, potentiel source d'enrichissement pour les ursidés.
Autruches, lamas, dromadaires dont un imposant mâle, chevaux de robe noire, watussis dont un individu portant d'immenses cornes, quelques zèbres sont les animaux que nous croisons ensuite. Le chemin sillonne entre les vallons et nous découvrons l'enclos des tigres, où vivent six ou sept individus. De superficie relativement réduite par rapport aux dimensions de La Reserva, ce parc est surtout entouré de grillages qui nous semblent à première vue peu sécurisés.
L'enclos des éléphants asiatiques se trouve un peu plus loin. Alors que les quatre jeunes fourragent tranquillement avec les daims, nous découvrons vraiment sa superficie, si importante. Malheureusement relativement nu, il a cependant l'avantage d'être pourvu d'un immense bassin naturel. De retour dans une zone un peu plus boisée, nous trouvons une girafe mâle, probablement de la sous-espèce de Rothschild. Un couple de rhinocéros blancs est présenté dans un vaste enclos en partie boisé, tandis qu'en contrebas se trouvent deux enclos pour lions. La broussaille environnante permet aux animaux de se cacher, des plateformes de béton surélevées leur offrant de plus des points d'observation privilégiés.
L'enclos des éléphants africains se trouve un peu loin. Il était originellement, comme je l'ai déjà dit, organisé sur deux pentes d'une colline, puis a été séparé en deux. Les deux éléphantes occupent un des versants, pour quelques jours encore, tandis que quelques animaux en surplus ou blessés, ânes et antilopes, vivent sur l'autre versant avec d'ailleurs un superbe plan d'eau dans sa partie basse.
Nous traversons encore quelques enclos, plantés d'un certain nombre d'arbres, où vivent des oryx algazelles et des springboks. Un couple d'hippopotames amphibies occupe un étrange enclos boisé tandis que nous apercevons quelques impalas dans les fourrés un peu à l'écart.
La visite en voiture se termine en empruntant le fameux pont, ancien aqueduc et aujourd'hui symbole de l'établissement zoologique, qui surplombe l'ancien enclos des éléphants africains, où vit à présent un groupe de bisons américains. Les deux anciens bâtiments pour les éléphants, un pour les mâles et un second pour les femelles, sont toujours en place. Il est 13h15 lorsque Con Mul nous mène jusqu'à l'endroit où a lieu un spectacle de rapaces en vol. Jose Luis Aragon a d'ailleurs le rôle de fauconnier principal qui réceptionne les oiseaux lâchés du sommet d'une colline voisine, à plusieurs centaines de mètres. Quelques rapaces nocturnes et un condor des Andes font également une apparition lors de la présentation. Un immense plan d'eau se trouve à l'arrière et il est proposé aux visiteurs d'y faire un tour en barque.
Il nous reste encore à découvrir une petite zone pédestre, nommée Jardin de los Canguros et aménagée à côté de l'aire de pique-nique. Des chèvres naines y évoluent en toute liberté tandis que des wallabies de Bennett, deux bassets, deux bouledogues, un jeune watussi et un jeune éland élevés à la main vivent dans quelques petits enclos. Des volières sont parsemées entre les arbres et sont le lieu de présentation de deux couples de calaos trompettes, de quelques aras, de tortues terrestres… et de deux jeunes lions, sûrement élevés à la main. Une grande volière est occupée par divers oiseaux, dont des ibis et des paons bleus, mais aussi par des maras. Nous tombons aussi sur un petit bassin où est apposé un panneau informatif sur les alligators mais où évoluent des cygnes, les deux alligators se trouvant un peu plus loin dans un terrarium. Nous jetons encore un œil rapide sur les logements des rapaces, qui se trouvent un peu à l'écart.
Après une collation en compagnie de Con Mul, qui retourne ensuite s'occuper des éléphants, nous effectuons un second tour, cette fois, avec notre Ibiza de location. Nous assistons au bain des éléphants asiatiques et réalisons que le public espagnol est loin d'être discipliné. De plus, l'écart qui sépare le mur d'enceinte de l'enclos des éléphants est bien trop proche de la maigre barrière du côté des visiteurs, un cocktail bien dangereux à notre goût… Nous retournons ensuite auprès des éléphants africains. Bien que nous soyons un dimanche, et peut-être du fait de la vaste superficie du parc, certains endroits, comme ici, restent calmes et peu fréquentés. A 19h, nous assistons à la rentrée des éléphants dans leur bâtiment, d'ailleurs sans électricité ni chauffage… Nous remercions encore Antonio Ibañez Martinez, directeur du parc, qui est arrivé pour la rentrée des éléphants, et souhaitons à Con Mul un bon transport vers les Pays-Bas.
Du fait de la fatigue accumulée au cours de la journée, nous ne tardons pas à trouver un hôtel à proximité. Nous discutons encore de notre visite du jour, qui fut tout à fait passionnante, et de ce début de Zoo Tour riche en surprises… mais les journées à venir nous en réserveront encore plus que nous l'imaginons ce soir-là…
En conclusion, La Reserva est un immense parc organisé de façon extensif. La collection animale est relativement typique d'un tel établissement se visitant à bord de véhicules. La topographie du terrain et la flore omniprésente offrent un cadre potentiel d'une très grande richesse bien que l'utilisation historique de ces terrains puisse poser problème, comme cela a été évoqué plus haut. La Reserva semble également pouvoir proposer des solutions au problème du surplus d'éléphants mâles en captivité mais un suivi plus régulier serait à étudier.